La danse du nom

Mercredi 13 janvier 2010, par Anna, Ivan Joseph // La danseuse de vélo

Tango !
Tango, c’est l’un des premiers mots que Lucie lui a appris. C’est l’un des tout premiers qu’il a réussi à lui faire comprendre qu’il aimerait apprendre ; connaître, dire. L’un des premiers noms... après son nom peut-être... car, oui, comme je vous l’ai déjà dit, ...
C’est Lucie qui lui a donné son nom. Elle l’a appelé...
Cela dit, c’est peut-être trop tôt pour le savoir, pour le dire...
Disons que Lucie, au début, était terriblement ennuyée car elle avait très vite compris qu’il ne parlait pas, qu’il n’avait même jamais appris à parler. En même temps, elle sentait, elle savait, elle était sûre ! qu’il voulait communiquer avec elle, qu’il avait des choses à lui dire ; très importantes !...
Quelles choses, me direz-vous ?
Eh bien, elle sentit, elle comprit très vite qu’il s’interrogeait vivement sur ce phénomène, ce bruit, ce mouvement... ce moment essentiel qu’il l’avait un jour surprise en train de vivre (elle ne sut pas tout d’abord, en effet, qu’il l’avait vue danser à son insu, qu’il l’avait observée...), cette circonstance bizarre, complexe, mais qui - elle s’en rendrait compte plus tard - l’avait justement émerveillé parce qu’elle lui avait paru, à lui, si simple dès le premier... contact  ? abord ?
Cette chose, c’était justement la danse de ce jour-là. Mais tout aussi bien, justement, la musique, que les mouvements particuliers qui l’accompagnaient. Dès lors, il n’avait plus voulu qu’apprendre ça ! Savoir ça ! Or, comme il l’avait compris lorsqu’il avait vu Lucie chercher à lui donner un propre nom, à lui, à le nommer, lorsqu’il avait alors compris que les choses se connaissaient d’autant plus précisément que l’on pouvait les nommer, alors il n’avait plus voulu que connaître le nom de cette chose.
Tango ! Oui, je sais, je vous ai raconté cela dans le désordre jusqu’à maintenant ; enfin, par tout petits bouts. Mais aussi, je vous raconte cette histoire comme je peux, vous savez...
Il y a aussi les deux huttes que je ne vous ai pas encore racontées ; avec leurs toits de chaume. Les deux huttes derrière les claies de canisse. Enfin, je crois qu’on dit ça comme cela. En tout cas, pour canisse, je suis sûr.
Comme pour les huttes, d’ailleurs ! Il habitait dans des huttes, avec ses animaux, à l’abri des regards. À la mort de sa mère, cela avait été trop dur. On se moquait trop de lui. Il ne pouvait pas supporter. Plus jamais il ne supporterait que l’on se moquât de lui. Enfin, il pensait cela. Il sentait cela. Il sentait plus qu’il ne pensait, alors, avant de rencontrer Lucie. Enfin, on ne sait pas trop. Cela dit, il acceptera de nouveau, à sa propre surprise, que l’on se moque de lui. Mais ce sera différent : ce sera pour le Tango, ce sera pour Lucie. Comme je vous l’ai dit. Ça, oui, en revanche, je vous l’ai déjà dit, je le sais.
Oui, Lucie ne savait pas comment l’appeler, quel nom lui donner. Elle ne sut d’abord pas. Et cela la contraria. Mais elle ne voulait pas forcer les choses.
Elle décida de lui donner un nom important, en attendant. Elle savait que sa première réflexion quand elle l’avait vu avait été : “Oh, le monstre !”.
Elle l’appela, en attendant... Humain.

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