Avoir des mollets de coquette

Samedi 20 mars 2010, par Anna, Ivan Joseph // La danseuse de vélo

Dix ans !... Enfin, dix ans !... L’anniversaire de toutes les attentes pour Jacques !... Cet été, en l’absence de Fausto Coppi - forfait après sa blessure dans le Giro -, Ferdi Kubler a gagné la Grande Boucle 1950 !... Son coureur préféré à Jacques, de toute façon, c’est Bobet ! Allez Louison !... Il faudra simplement attendre encore un peu, au supporter qu’il est, pour le triplé successif de son champion de 53 à 55...
Quoi qu’il en soit, pour cette année, c’est - enfin ! - lui, Jacques Naoul ! le roi de la petite reine ! Ses parents le lui avaient promis : pour ses dix ans (s’il était bien sage), il aurait droit à sa première bicyclette !
Mais alors, c’est également Lucie à présent qui veut devenir coureur cycliste. Or c’est là que commencera le drame...
La pauvre !... Elle ne se rend pas compte !... Oui, c’est sûr, jusqu’à ses sept ans, Lucie fut une bien belle petite fille, un brin rondelette tout juste ce qu’il faut !... avec de bonnes joues et même de jolies fossettes ! Mais l’âge de raison est passé par là. Voilà deux ans qu’elle s’est transformée étonnamment. Les gens s’inquiètent. Ils demandent à sa mère, à la sortie de l’école, comment cela peut bien se faire que Lucie soit devenue si maigre tout à coup, en si peu de temps : « Dis donc, Anne, elle serait pas malade, au moins, ta fille ?... »
Aussi, comment prétendre sérieusement côtoyer les athlètes du peloton du Tour de France avec ces cannes de cigogne pareil ! « Au moins, regarde, ton frère, lui, il a les mollets pour le vélo ! » C’est la mère de Lucie qui la dissuade... ou l’encourage, à sa façon ! Lucie y a souvent repensé bien plus tard. Ce qu’elle avait alors pris pour l’expression d’une cuisante humiliation (elle n’était pas capable de briguer le même cadeau que son frère), avait peut-être en effet finalement correspondu à une tentative d’incitation bienveillante - qui sait, toute pleine de sollicitude maternelle inquiète - à reprendre des forces.
De fait, Lucie essaya bien de combler son retard. Elle mangeait, mangeait, mangeait sans cesse. Au demeurant, la convivialité des repas dans la petite maison au pied du Puy des Jantes suffisait largement à ce que cet effort ne fût pas une épreuve. Cependant, rien n’y fit. Lucie était devenue très mince, très très mince, presque maigre. C’était sa vraie nature qui s’était révélée à ses sept ans, il fallut bien l’admettre (même si sa mère ne le fit probablement jamais). De même, malheureusement, il fallut bien admettre à Lucie qu’elle n’aurait jamais de bicyclette... et qu’elle ne courrait jamais le Tour de France.

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