Fluides - Partie I - § XVI

Lundi 29 août 2011, par Ivan Joseph // Fluides ou Le singulier pluriel

Tout le reste de la journée, l’atmosphère est demeurée assez détestable... à cause de l’incident de l’heure !
À présent, Élie tourne le dos à la verrière. Il lit, assis dans le coin détente du grand salon de la Cabine, là où se trouvent les trois fauteuils et le pouf. Laurence, quant à elle, s’est enfermée depuis l’après-déjeuner, et jusque-là, dans le bureau. Il ne reste plus qu’eux deux au Taf à cette heure-ci...
« Tiens, tu es toujours là, toi ?!
- Comme toi, l’Amirale !
- Sacrée mauvaise journée, hein ?
Élie referme le volume 23 du Séminaire de Lacan dans son édition au Seuil, et, après s’être laissé une fois de plus captiver quelques instants par la photo de Joyce, sur la première de couverture :
- Tu trouves, Laurence ?... »
Voilà. Presque tout Élie est résumé dans une telle réponse ! C’est le cinquième membre de l’équipe. Lui, sa spécialité, c’est tout ce qui est psycho, psycha, ... psy-quelque-chose ! Enfin, tout ce qui tourne autour de ça... Il adore analyser (ou, plus prosaïquement, « se prendre la tête », comme le taquinent fréquemment les autres) ; de fait, il faut reconnaître qu’il est un peu torturé du bulbe dans son genre, l’Élie, toujours prêt à se raser la barbe en cinq. Quand Michel, par exemple, serait plutôt, à l’inverse, l’archétique même du synthétique, lui, sans cesse - et, bien souvent, malheureusement, sans plus pouvoir faire marche arrière -, démonte, décortique, dissèque...
De fait, depuis ce matin, depuis que la dispute a éclaté, il n’a pas dérogé à la règle de son penchant ; c’était cela, son « côté observateur »...
Voulez-vous un bout de cerveau d’Élie, quelques morceaux choisis de ces pensements - comme ce mot vieilli lui va bien !... - de la journée ? Qu’à cela ne tienne, en voici quelque récolte :
 « Mais pourquoi donc l’Amirale réagit-elle comme ça régulièrement ? Pourquoi ces coups de gueules soudains ? »... C’est intéressant aussi, vous savez, de les observer, les autres, à travers le regard d’Élie... « L’Amirale, en fait, je pense que Ça cache quelque chose !... Quand elle explose ainsi, c’est quelque chose d’enfoui, je suis sûr, de refoulé qui resurgit ; quelque chose qu’elle a du mal à refouler justement ; quelque chose qui doit sacrément la faire souffrir, contre quoi elle se bat ; d’ailleurs, la création de la Brigade, peut-être est-ce un peu, d’une certaine façon, de la part de Laurence, une manière de lutter contre cette chose enfouie qui la fait tant souffrir... »
Il cherche... « Cette rigidité ?... Pourquoi ?... Ce truc, là ; cette raideur sur la ponctualité... Qu’est-ce qui peut plus précisément expliquer cela ?... Et pourquoi, alors, semble-t-elle être si vite amen&eacutee à penser qu’on l’abandonne ? »... alors que, par ailleurs, Élie en est sûr, quelqu’un comme Lydie est... « comment dire ? »... tout à fait sincère dans son admiration envers Laurence...
Je passe à Lydie, pour le coup... Élie, justement, a de l’admiration pour elle... Elle est aussi tellement capable d’à peu près tout ce qui lui manque, à lui, le plus : le bon sens, le pragmatisme !... C’est une nature, cette Lydie ! Elle est si vigoureuse ! Si vivante !... Bien souvent, il se surprend à penser qu’il aimerait savoir prendre la vie comme elle à bras le corps !
Christiane, c’est autre chose. Là encore il y a une pêche pas possible... D’ailleurs, vraisemblablement ici, pense Élie, sous une forme plus directement communicative... « Oui ! Voilà précisément ce qui distingue nos deux énergiques », se dit encore notre obnubilé des comportements et de leurs causes, « quand Lydie est de toute évidence le modèle-type de la femme d’action, Christiane rentrerait peut-être, elle, davantage, dans une catégorie plus conceptuelle, et à la fois, c’est évident, plus rêveuse... » Enfin... Élie n’arrive pas très bien à le déterminer. Il faut dire aussi que la Brigade est encore si jeune...
Quant à Michel, pour finir, le scientifique de la bande, Élie admire tout particulièrement l’efficacité indéniable de son cartésianisme... même si, tout à la fois, ce même cartésianisme, il ne peut non plus s’empêcher, au fond de lui, de le moquer un peu ; pour la simple et bonne raison sans doute, d’ailleurs, que celui-ci échappe assez vite à l’appréhension de son propre psychologisme...

P.-S.

Fluides - Partie I - Chapitre XVI

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