Fluides - Partie I - § XXIII

Mercredi 7 septembre 2011, par Ivan Joseph // Fluides ou Le singulier pluriel

Après une longue période d’hésitation, tout d’un coup, en revanche, ç’a été très vite vu ! Le rendez-vous est même déjà pris depuis quelques jours. C’est bientôt. C’est ce soir, déjà ! C’est même déjà maintenant ! Élisabeth est assise à la deuxième mezzanine du café-brasserie Au vieux Châtelet, place du même nom, comme elles en sont convenues avec Lydie. Elle attend depuis déjà vingt-cinq minutes. C’est normal aussi : sa fébrilité, son impatience, l’ont fait arriver tellement en avance ! Pourtant, elle n’avait vraiment pas besoin de se prémunir contre de l’inconnu : elle a en effet eu déjà suffisamment l’occasion naguère de fréquenter l’endroit - qu’elle n’apprécie pas particulièrement, d’ailleurs. Elle regarde la Seine. Il commence à faire beau. À quelques jours près, cela fait cinq mois que Manou est dans le coma. Tous ces jours ont été un véritable supplice. Heureusement qu’elle a pu se libérer pour faire quelques allers et retours pour Lyon et qu’elle a fait la connaissance de Didier... pour l’aider à endurer les intervalles où elle était retenue sur Paris.
Élisabeth fixe le vide : sa fatigue même. Deux cernes appuyés soulignent encore la douleur de son regard absent. Le sursaut n’en est que plus intense : les convulsions de son mobile sur la table devant sa banquette viennent littéralement de l’affoler.
« Oui ! Allo ! » finit-elle par souffler dans l’appareil quand elle parvient enfin à en maîtriser la danse vibratile. Mais même souffler est d’ores et déjà devenu inutile : presque simultanément, elle aperçoit Lydie - qu’elle reconnaît sans le moindre doute grâce au foulard rouge sur lequel elles s’étaient entendues - en face d’elle. Les deux jeunes femmes se parlent au téléphone - pour se localiser dans le café - alors que déjà moins de dix mètres les séparent...
Je vous raconte la suite...
Elles ont dîné ensemble. Ce fut un étrange repas. Elles s’observaient. Elles devaient avoir à peu de choses près le même âge ; et puis, surtout, elles avaient la même façon de le porter. En effet, toutes les deux avaient quelque peu dépassé les quarante ans, mais personne, à coup sûr, hors de leurs connaissances, n’aurait jamais voulu le croire !... Ce fut une salade pour chacune : aux quatre fromages pour Élisabeth et végétarienne pour Lydie. Comparer leurs cheveux aussi était amusant. Presque logiquement, ai-je envie de dire, chez Lydie, c’était plus court. Celle-ci répondait comme elle pouvait au flot quasi ininterrompu d’Élisabeth :
« Ah... D’accord... Je comprends ?... Mais pourquoi tu dis que tu te sens responsable ?... Ah, oui !... Effectivement... Mais tu penses vraiment, toi, que ce geste d’explosion de la part du type, là, ton espèce de vagabond qui se balance... Tu crois vraiment que... »
Élisabeth ne la laissait jamais finir son propos. Un tel besoin de confidence s’était accumulé en elle depuis tout ce temps. Et là, en plus, avec Lydie, avec quelqu’un comme elle, elle se sentait tout à fait en confiance.
« Mais pourquoi tu as voulu me raconter ça à moi ?... Ah ! Oui, je comprends aussi... Bien sûr, Didier... Hm, ce qu’il t’a dit sur la Brigade... C’est sûr, avec ça, si tu ressens les choses un peu avec le même abord... »
Au bout d’un moment, Élisabeth se sentit toute honteuse. Subitement, en fait. Ses longues mains fines posèrent alors enfin ses couverts à côté de son assiette. Elle voulait que Lydie lui parle un peu d’elle.

P.-S.

Fluides - Partie I - Chapitre XXIII

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