Fluides - Partie I - § X

Vendredi 19 août 2011, par Ivan Joseph // Fluides ou Le singulier pluriel

Je sens bien, savez-vous, que je vous ai relaté tout cela quelque peu à la hâte. Mais aussi, quel épisode ! Et tous ces voyageurs qui s’étaient retrouvés parterre au moment où le métro avait freiné si sec lors du déclenchement du mécanisme d’alarme !

Vous savez, dans ces cas-là, tout cela va assurément à une allure étourdissante. C’est l’affolement général. Et puis, vous vous imaginez aussi, vous, avec ces flammes, dans le wagon où vous vous seriez embarqués !
Lors, en outre, cela se bouscula, encore davantage ! La voix du machiniste dans les haut-parleurs, d’abord, qui commença par en remettre une couche : « Suite à un incident voyageur dans un wagon (Vous parlez d’un incident  ! Je pense plutôt qu’on doit recommander au personnel de conduite, dans de telles circonstances, de ne surtout pas prononcer le mot incendie, afin de ne pas amplifier la panique !...), la rame se trouve momentanément immobilisée. Nous vous prions de nous excuser pour la gêne occasionnée, et cætera, et cætera.  » Mais, par-dessus tout, il y eut, ensuite, le crescendo supplémentaire qui s’ensuivit dans l’agitation du vagabond et qui contribua, par surcroît, à envenimer les choses.
En effet, ayant enfin compris d’où était partie l’alerte, qui avait actionné la sonnerie, et, partant, qu’Élisabeth était la cause de tout cela, il se précipita sur elle ! Au moins, me direz-vous peut-être, cela donna-t-il l’opportunité à un autre voyageur pas trop éloigné de venir, quant à lui, tenter d’étouffer, avec son manteau, le départ de feu sur le siège ; certes, mais quelle frayeur ce fut alors pour elle !
Il la fusille du regard. Son visage est si près du sien qu’elle sent son haleine pesante la repousser. Il se met de nouveau à geindre, à gémir-grogner, comme juste avant son coup de folie pyromane. Il se balance... C’est encore plus impressionnant, ainsi, tout devant lui, ou, plutôt, avec lui, ainsi, tout devant elle ; comme une violence en mouvement, un bruit physique, que ce cri rentré, inarticulé, bougé ; pas de voix...
Il essaie d’ouvrir les portes. Bloquées ! Tout aussitôt et en conséquence, exaspéré, ulcéré ! le vagabond en force le mécanisme, avec une vigueur phénoménale ! Il se retourne de nouveau brutalement vers Élisabeth (Oh ! oui, elle a eu si peur !)...
Et là !!...
Subitement, son tangage connu curieusement une nette atténuation. Il désigna à Élisabeth le plan de la ligne du métro qui se trouvait au-dessus des portes désormais entrebâillées ; son doigt était sale, à l’ongle noir, aussi noir que le trait qui, à côté de cette dernière phalange, désignait sur le plan la station Saint-Lazare.
Il grogne encore ; enfin, sa gorge grogne ; enfin, vibre, résonne... Fort ! Son regard aussi est très noir - de la colère toujours, infiniment -, là qu’il se plante derechef dans l’effroi de celui d’Élisabeth.
Puis, étrangement, il joignit ses mains... Encore un léger branle... Contre son oreille, ses mains jointes : il mime le dormeur... Et, le regard plein de noir, il disloque brusquement ses mains sales de manière à imiter leur explosion... L’explosion qu’il les a chargé d’imiter...
Après, un violent balancement encore !... Un seul !... Un dernier !... Vers Élisabeth... Ce fut si violent qu’elle crut bien qu’il voulait lui cogner la tête...
Alors, il s’est enfui dans le tunnel aveugle du métro par l’entrouverture des portes qu’il avait forcées...

P.-S.

Fluides - Partie I - Chapitre X

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