Fluides - Partie I - § XIX

Jeudi 1er septembre 2011, par Ivan Joseph // Fluides ou Le singulier pluriel

« Voilà. C’est là que ma sœur, une fois de plus, a été formidable. On a vraiment vécu cette période avec beaucoup de complicité, Lydie et moi. En effet, elle, elle a eu le courage de bouger, d’intervenir. Elle me disait bien aussi chaque jour qu’elle ne pourrait plus longtemps laisser les autres s’acharner ainsi sur la nouvelle sans rien dire. Elle a fini par en parler à maman, d’abord, qui lui a dit qu’elle avait eu bien raison ; je crois que notre mère a été très fière de la réaction de Lydie à l’époque. Elle l’a bien sûr encouragée à prévenir les autorités du collège... »
Didier est très ému. C’est la première fois qu’il prend véritablement la parole lors d’un de ces dîners bimensuels qu’organise l’ADJDM (l’Amicale Des Jumeaux Dizygotes Mixtes) dans son quartier depuis bientôt trois ans et auxquels il a pris l’habitude de se rendre. Ces réunions se déroulent emblématiquement au restaurant Les invasions dizygotes qu’ont ouvert, voilà près de trente ans, au 82 rue des Martyrs, les fameux et truculents jumeaux Robert désormais célèbres bien au-delà des frontières de Montmartre.
« ... Le soir, dans notre chambre, Lydie me racontait tout ; elle me tenait au courant point par point de l’évolution de “l’affaire”. À ce stade, elle m’a donc relaté comment elle avait demandé un rendez-vous au principal afin de pouvoir tout lui révéler. Celui-ci aussi l’avait félicité de son initiative. J’étais moi-même tellement fier de ma jumelle ! Cela dit, j’imagine que vous devez bien connaître cela également : j’avais à tel point le sentiment d’avoir été moi-même dans le bureau de ce chef d’établissement, d’avoir eu moi aussi l’audace de pousser la porte de cette autorité, si impressionnante pour moi à l’époque, et, tout cela, pour sauver une pauvre camarade abandonnée de tous !... »
Didier commence même maintenant à s’enflammer. Mais les autres jumeaux présents dans l’assemblée s’enflamment tout aussi bien avec lui. Il faut dire qu’avec le thème de la gémellité, la spécialité de la maison est par ailleurs le bon vin. Le décor des invasions dizygotes est à cet égard éloquent. Ce sont autant de moulures aux arabesques noueuses et à la sculpture explicite qui évoquent l’aspect des ceps, des grappes et des feuilles de la vigne. Ici, des lettres gravées sur des supports en imitation de couvercles de tonneaux épellent des noms doux aux palais œnologues (Anjou, Champagne, Macon, Chambertin, Pomerol...). Là, ce sont encore des reproductions d’œuvres de grands maîtres de la peinture dédiées à la même passion (comme, par exemple, cette toile d’après Les buveurs ou Le triomphe de Bacchus de Velasquez...).
« ... Après avoir parlé avec Lydie, le principal a convoqué Laurence - c’était le prénom de la camarade de collège de ma sœur - dans son bureau. C’est à partir de là que la gamine a osé tout avouer. C’est alors allé très vite. Le caïd, le Patrick en question dont je vous parlais tout à l’heure, a été renvoyé du collège illico ; les brimades ont immédiatement cessé ; et Lydie et Laurence sont devenues les deux meilleures amies du monde. Voilà comment ma jumelle, puisque vous vouliez le savoir aussi pour moi, puisque c’est notre thème de discussion de ce soir, a su se faire sa meilleure amie ! »

P.-S.

Fluides - Partie I - Chapitre XIX

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