Fluides - Partie I - § XXII

Mardi 6 septembre 2011, par Ivan Joseph // Fluides ou Le singulier pluriel

Voilà deux semaines déjà que Raymond est dans le coma. Élisabeth n’en peut plus, elle étouffe. Il y a ce sentiment de culpabilité à peine soutenable. Elle se sent si seule. Le plus dur, dans la circonstance, c’est que c’est justement Raymond avec lequel elle partageait cette complicité privilégiée qui aurait tant pu l’aider aujourd’hui à affronter une épreuve comme celle que la maladie de son jumeau lui inflige ! Qui, mieux que lui, pourrait la comprendre ? Qui, au moins, aussi bien que lui ?...
Alors, Élisabeth repensa à cette petite affichette qu’elle avait vue, placardée sur la vitrine d’un restaurant de sa nouvelle rue, lorsqu’elle avait emménagé l’été dernier. Elle en avait même parlé à Raymond. Cela avait d’ailleurs été l’occasion entre eux d’un de leurs fameux beaux fous rires. Ils s’étaient, en effet, copieusement amusés de ces réunions confraternelles entre jumeaux dont parlait l’affichette. «  Fraternellement cons surtout, moi, je crois », avait même persiflé Manou. Et pourtant... C’est bien à ce type de groupe d’échange que pensait ce soir Élisabeth, dans son besoin irrépressible de pouvoir évoquer son désarroi avec quelqu’un susceptible à ses yeux de la comprendre.
C’est pour cela qu’elle est finalement venue... C’est pour cela qu’elle est ici. C’était trop dur de porter tout cela toute seule : Elisabeth s’est finalement décidé à pousser les portes des Invasions dizygotes. Elle a pris la parole, ce soir. Elle en avait trop besoin. Elle a livré toutes ses interrogations, tout le harcèlement intérieur de sa culpabilité : Pourquoi, ce jour-là, précisément, alors qu’elle devait acheter le cadeau de Noël de son frère, pourquoi avait-elle préféré prendre bêtement un inconnu en filature ? Pourquoi, au moment de l’incident de l’alarme, celui-ci avait-il pointé son doigt sur la station Saint-Lazare : là encore, exactement celle où elle avait initialement l’intention de se rendre afin de faire son achat ? Et puis, aussi, pourquoi avait-il mimé cette sorte d’explosion avec ses mains ? Pourquoi Élisabeth ne pouvait-elle s’empêcher depuis de faire un lien entre ce geste et la sorte d’explosion cérébrale dont avait été victime son frère la nuit même ? Quel rapport y avait-il entre tout cela ?!...
Ce soir-là, aux Invasions dizygotes, le récit d’Élisabeth troubla beaucoup l’assistance. Certains s’en trouvèrent même de toute évidence dérangés. Mais Didier, lui, en revanche, au terme de la réunion, vint au-devant de notre héroïne.
« Tu devrais en parler à ma sœur, tu sais. Lydie fait partie d’une sorte de groupe. À vrai dire, je n’ai jamais trop bien compris de quoi il s’agissait. Je sais seulement qu’ils sont tous passionnés de choses un peu étranges comme ça, comme ce que tu nous a raconté ce soir ; de circonstances troublantes, de hasards étonnants... C’est une sorte de brigade, quelque chose dans le genre. Peut-être pourraient-il t’aider... T’aider à comprendre, à déculpabiliser ?... Tu sais, ton récit m’a beaucoup touché. Tiens, je te donne mon téléphone. J’en parle de mon côté à Lydie. Et si tu veux un jour que je vous mette en contact, surtout n’hésite pas ! »
Elle a pleuré au moins ce soir-là. La sollicitude de Didier lui avait ouvert les larmes.
« Peut-être. » Elle verrait...

P.-S.

Fluides - Partie I - Chapitre XXII

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