Fluides - Partie II - Chapitre III

Jeudi 9 août 2012, par Ivan Joseph // Fluides ou Le singulier pluriel

Le cours était maintenant entamé depuis plus de trois quarts d’heure. Frédérique commençait déjà à ressentir ses premières douleurs lombaires :
- Putain ! Décidément, y en a marre, je m’en débarrasserai donc jamais de ces saletés !
- ... Alors, pourquoi, vous dis-je, vaudrait-il mieux encore parler de Littérature très contemporaine ?... Eh bien, c’est simple... La ligne de conduite que je me suis donnée cette année pour votre initiation est... Enfin... Vous allez voir... Il va s’agir comme d’un apprentissage à l’étude d’un art en train de se faire...
Fred souffrait à présent bien trop pour suivre avec suffisamment d’attention toutes les subtilités des digressions de ce prof qu’une écrasante majorité de ses étudiants s’accordaient à trouver, mais avec chez chacun à peu près la même tendresse, finalement un peu fou. Quand la douleur ainsi l’envahissait, celle-ci devenait bien vite la maîtresse de sa pensée tout autant que de son corps :
- Bon, ben, c’est clair. Je la connais la solution, le seul recours, au point où j’en suis. Ça, c’est parti pour se finir par un bon petit détour du côté de Pelleport ; c’est du boulot pour spécialiste ça, encore une mission pour Françoise la magicienne !
Depuis qu’avaient été communiquées à Frédérique, quelques années auparavant, les coordonnées de cette fascia-pulso- thérapeute, sa vie de dolente avait changé. Elle ne jurait plus que par elle : «  et Françoise par-ci » et « les mains de Françoise par là » et « cette approche si étonnante, originale et à la fois si efficace », ...
- ... Notre auteur, donc... C’est un ami, comprenez-vous... Il vient d’entamer ce livre... C’était un projet commun en germe depuis longtemps... Pour lui, entamer un texte, une œuvre dans le cadre conceptuel de mon cours... Pour moi, étudier avec vous cette œuvre tout au long de l’année... Je veux dire... Durant la période même de son élaboration...
- Moi, ce que je sais, se dit Fred qui ne parvenait plus à comprendre qu’à peu près le quart du galimatias de Pascal, c’est que je veux que Fred reste dans l’histoire ! Pour une fois que je trouve qu’un des personnages de ce récit bizarroïde présente un peu de relief ! Et même si je considère aussi qu’il fait un peu trop tante quand même. C’est un peu trop poussé, à mon goût.
- ... Je vous propose... Avant de finir... Que nous passions à un premier jeu, un premier jet, une première salve d’impressions, de commentaires, de remarques... Allez-y... C’est à votre tour... Qu’avez-vous à dire de ce texte ?... Oui, Mademoiselle, là-bas, tout en noir ?...
Frédérique s’était dit qu’en intervenant elle parviendrait peut-être à se distraire un peu de son mal de dos :
- Vous savez, Monsieur, ce que j’en dis, c’est que l’histoire est peut-être un peu bancale. Franchement, moi, je vois pas pourquoi y z’en font tout un pataquès, là, le machin, la Brigade, pour une aussi petite misère. Ça fait pas très crédible, je trouve, Monsieur, sans vouloir blesser votre ami, là, l’auteur machin chose qui nous a pondu l’œuvre de Noël.
Tout l’amphi était déjà hilare. Frédérique faisait mouche à tous les coups. Ça avait de tout temps été comme ça : pour se défendre de sa timidité maladive, il y avait très tôt eu le noir intégral de ses divers accoutrements, avec, depuis toujours également, son humour ravageur, quant à lui, bien souvent tout aussi noir.
- C’est votre droit d’avoir cette opinion sur... Enfin, je veux dire, l’intrigue... Jeune fille...
À cette dernière expression, les étudiants pouffèrent en cohue ; ce qui encouragea d’ailleurs Frédérique à en rajouter une pincée :
- Euh... « Jeune fille »... Sur ce point, Monsieur, je suis désolée, mais, je serais vous, je m’avancerais pas trop. Bon, en tout cas, pour en revenir au sujet, je me suis tout de même réjouie de voir, à la fin, qu’il y en avait un ou deux de la bande qui émettaient des doutes sur leur démarche. Ça fait du bien des gens qui réfléchissent. Cela dit, quand même, et pour finir, à votre copain, dites-lui bien quand vous le verrez, qu’il garde Fred surtout. C’est sa première véritable bonne idée !

P.-S.

Fluides - Partie II - Chapitre III

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