Fluides - Partie I - § XVIII

Mercredi 31 août 2011, par Ivan Joseph // Fluides ou Le singulier pluriel

« Oui, Laurence ? Tu penses encore à autre chose ? Tu as encore envie de te confier ?
- C’est si absurde, aussi ! Tellement bête, Élie ! Tu imagines : avec Lydie, en plus, mon amie d’enfance ! M’embrouiller comme ça, connement ! Après tout ce qu’elle a fait pour moi...
- Oui ?
- Oui, je sais, je ne t’ai pas raconté, ça... Elle a été tellement bien !... Je venais d’arriver à Tours. J’entrais en cinquième. Mon père venait d’être nommé adjoint au chef de gare ; toute la famille avait dû le suivre... Et nous voilà, tous les quatre, mes parents, ma sœur et moi, plongés tout à coup dans ce nouveau monde, ce vaste monde de la grande ville ! Avant, c’était de la toute petite bourgade de province pour nous, tu sais, Élie ; du fin fond du Loir-et-cher. Un double choc pour moi, en plus, à cette rentrée : je n’avais jusque-là fréquenté que des établissements pour filles. Bonjour, la mixité ! Ce fut le cas de le dire !... »
Le regard de Varennes semble, à mesure que son récit avance, ployer sous le fardeau du souvenir des souffrances... par là même ranimées.
« Persécutée, Élie ! Vraiment persécutée ! Littéralement ! C’est ce à quoi j’ai eu droit comme cadeau de bienvenue à mon entrée au collège Louis Pasteur de Tours. En deux mois, j’étais le souffre-douleur... Oh ! comme les enfants peuvent être méchants, Élie ! Peut-être même surtout entre eux !...
- Tu préfères arrêter ?...
- Non, je te dis : ça me fait du bien... C’était d’un sadisme ! J’étais toute frêle. Je me suis ramenée avec mes nattes et mes jupettes de petite fille sage. C’était horrible ! Un de ces acharnements ! Ma mère, tu sais, elle était couturière par-dessus le marché ; alors, elle m’en faisait pratiquement une nouvelle tous les quinze jours, de jupe. Ça, c’était leur jeu favori, me les soulever, me regarder dessous ; ils ne tiraient pas seulement sur mes nattes. Tu penses ! dans les années soixante-dix, j’étais une extra-terrestre, là-bas, dans un collège mixte, de pas me mettre en pantalon... comme tout le monde !... Mais le pire, c’était lui... Un redoublant... Peut-être même déjà plusieurs fois... Il n’y a que pour la croissance qu’il avait pris de l’avance sur les autres... Il avait l’acné tortionnaire, ce salaud. Patrick Maréchal ! Je crois que je me souviendrai de son nom toute ma vie... Lui, carrément, il lui arrivait de me déculotter devant tout le monde. C’était son plaisir de m’humilier. Il me faisait pleurer à tous les coups. J’étais « la pucelle », « la sainte-nitouche-mes-fesses », « la bouffonne » et je t’en passe... Je n’osais rien dire à la maison... J’avais si peur qu’on me reproche de ne pas savoir me défendre... »

P.-S.

Fluides - Partie I - Chapitre XVIII

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